Histoire de l’histoire d’entreprise

Les débuts
L’histoire d’entreprise débute en France avec le vingtième siècle. En 1900, Eugène Bayard, maître des requêtes, publie en 550 pages à la typographie serrée l’histoire de la Caisse d’Epargne, dont il est agent général. Lui succèdent avant la Grande Guerre quelques sagas, telles que celle du PLM, réalisée en 1907, pour les 50 ans de la compagnie, celle de Lafarge, à l’occasion des 70 ans de l’entreprise ou, en 1913, celle du Crédit Lyonnais pour célébrer l’anniversaire de la banque fondée en 1863 par Henri Germain.

Deux livres par an
A l’issue du conflit, les parutions reprennent à un rythme limité. De 1923 à 1938, deux livres sortent en moyenne chaque année. Déjà se font jour deux conceptions divergentes: d’un côté l’ouvrage savant et documenté, de l’autre, à l’instar du PLM le livre illustré racontant de belles histoires consensuelles. Draeger, éditeur d’art fera florès dans cette seconde catégorie publiant des catalogues et Beaux Livres jusque 1960 sur des grandes marques du luxe ou autres, comme Hispano-Suiza.

Toujours confidentiel
Pour de multiples raisons, le livre d’entreprises reste longtemps confidentiel. A la deuxième guerre mondiale, période de pénurie, succèdent les Trente Glorieuses. Confiants dans l’avenir, les dirigeants dédaignent dans l’ensemble tourner leur regard vers le passé.

L’arrivée des universitaires
Toutefois, au cours de cette période, vers 1960 des universitaires français investissent ce domaine. Claude Fohlen en 1955 avec l’histoire de Méquillet-Noblot, Betrand Gille, Pierre Guillaume ou François Caron dont les thèses ont pour sujets respectifs la banque Rothschild en 1965, la compagnie des mines de la Loire (1969) ou celle de Chemins de fer du Nord (1973) posent les jalons d’une discipline nouvelle. Notons que celle-ci existe aux Etats-Unis depuis 1927 avec l’ouverture d’une chaire de Business History à la prestigieuse université d’Harvard.

Les belles années 80
Vers 1980, le nombre de publications augmente. L’offre se structure avec l’apparition de cabinets spécialisés. Médiatisant le concept américain, le fondateur de Public Histoire, Felix Torres, exprime l’idée que toute entreprise sera amenée à écrire un jour où l’autre son histoire. ClioMedia de Pierre Dottelonde, Textuel et d’autres entités investissent un secteur en vogue.

Contrôler le message ?
La dualité inhérente à la finalité des livres (schématiquement objectivité historique versus communication) perdure. Elle s’accroît même un temps du fait de la coexistence d’acteurs dont la méthodologie, la rigueur et les motivations diffèrent. A titre d’illustration plusieurs dizaines d’ouvrages sortent sans signature. Ils témoignent de la volonté des entreprises de contrôler leur mémoire pour délivrer des messages, quitte à occulter des faits qui les dérangent.

Ne plus occulter l’histoire
Au cours des années 1990 les lignes de frontière s’estompent quelque peu. Des historiens intègrent les souhaits de projets pilotés par la communication des entreprises. D’autres deviennent les référents de secteurs que leur expertise permet de mieux décrypter. En même temps, des sociétés choisissent plus facilement de ne plus occulter les épisodes jugés peu glorieux. Qui comprendrait une histoire de Renault faisant l’impasse sur les choix du groupe au cours de la seconde guerre mondiale ?

Les Schiaffino
Lorsque Henri de Clermont-Tonnerre me demanda d’écrire l’histoire des Schiaffino, ces puissants armateurs dont la vie et l’histoire se confondait avec celle de l’Algérie, il insista sur l’importance que tout ait une source : « J’ai travaillé aux côtés de mon beau-père Laurent Schiaffino pendant plus de 20 ans. A ma connaissance il n’a jamais rien commis de répréhensible. Mais si cela était, je voudrais le voir mentionner », dit-il.
Cette requête porte en soi les grandeurs et les limites de l’exercice : s’il était parfaitement objectif elle n’aurait pas même besoin d’être formulée.

Le passé comme un miroir
Progressivement l’histoire d’entreprise est entrée dans les mœurs. En période d’incertitudes, la lecture des stratégies menées au cours du temps est un outil d’aide à la compréhension, parfois à la décision. La lecture du passé est un miroir qui peut s’avérer précieux d’enseignements. Les paris qui ont été pris, les valeurs qui ont guidé les choix favorisent la cohésion et légitiment des sociétés en quête d’identité.

Rendre hommage à l’humain
L’histoire d’entreprise est aussi une manière de rendre hommage à tous ceux qui travaillent sans posséder une vision globale de ce qu’ils vivent. Toute entreprise est d’abord une aventure humaine dans laquelle le hasard, l’opportunisme et l’irrationnel ont aussi leur part.

Une nuit de négociations
Dans l’histoire de la fonderie FWF, success story à la française, la nuit de négociations menées entre Dick Muzzy, du groupe Holland Hitch et Marc Genot, fondeur et aciériste français dans l’appartement de ce dernier pèse autant que toute la préparation du contrat. A son issue, l’avenir professionnel de plusieurs centaines de femmes et d’hommes est engagé.

Chaque histoire comme une épopée
Ecrire la vie des entreprises nécessite de conjuguer des visions macro et micro-économiques, de marier le discours d’acteurs multiples avec des réalités structurelles et conjoncturelles. De la sorte, les histoires sont autant d’épopées, de « chansons de geste » qui se fondent dans la grande histoire économique et sociale.

Elles sont aussi cet ancrage nécessaire qui donne des ailes pour voler toujours plus loin et plus haut.

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Un investissement porteur de sens.